Avant de vous rejoindre :)

(les débuts) tout a commencé dans l’archipel de göteborg, un 6 juin 1984, jour de la fête nationale en suède. j’aurais pu vous conter pleins de récits sur ce jour, mais je dois bien vous avouer que je n’en garde pas un profond souvenir. et le récit des autres sur un jour qui  leur semble merveilleux est toujours un conte tronqué. je suis le fils de viktor steinbock, marin pêcheur, trop rigide mais surtout trop absent. un vrai suédois, fière de ses terres mais surtout de sa mer… mon père nous a toujours aimé, cependant si il avait dû faire un choix nous savons qu’il aurait choisi la mer, nous ne faisions pas le poids face à son espace de liberté. ma mère astrée tomahson épouse steinbock, femme forte et remarquable. américaine pure souche qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, un caractère de feu et une douceur sans limite.

(un, deux, trois nous irons…) je suis au centre, centre d’une fratrie de trois, centre de toutes les attentions.
avant moi, mathilda, ma grande sœur, ma meilleure amie, seule et unique femme présente de mon premier jusqu’à mon dernier souffle. mi-sœur, mi-mère, un pilier inébranlable. je pourrais vous parler d’elle durant des heures entières. nous avons passé notre enfance à deux, c’est pour elle que j’ai rejoint new-york, c’est sans elle que je l’ai quitté. mathy porte son prénom à merveille c’est une puissante guerrière. elle est tout ce que je ne suis pas, courageuse, battante, indépendante. ma mère nous a surnommé les « jumeaux » nous pouvions en une seule pensée, un seul regard, comprendre l’autre. c’est la seule qui ne m’a jamais jugé, d’accord ou pas elle a toujours respecté mes choix. ma bouée de sauvetage, dans une vie tortueuse.
après moi robin, on aurait dû le protéger, le prendre sous notre aile et le porter. mais robin était différent de nous, en retrait,absent, écrasé sûrement par la place que nous prenions ou par le manque de place que nous lui laissions. parents absents, gamin délaissé. la différence d’âge n’a pas dû aider. robin est un étranger dans ma propre famille. c’est horrible, je suis un frère médiocre. on aurait dû s’aimer et se soutenir, mais nous sommes deux étrangers portant le même nom.

(…à chicago) mon père avait rejoint la mer après une énième dispute. reparti pour des mois, sans nouvelles, sans trace, avec pour seul espoir de très vite le revoir… malgré tout…  ma mère n’en pouvait plus de cette situation était-elle vraiment à blâmer ? quelle femme l’aurait supporté ? elle a cru qu’en acceptant d’avoir des enfants, elle lui ramènerai les pieds sur terre. râté !  vivre seule avec trois enfants, loin de ses racines, à espérer un retour, rapide, de son mari, n’étaient pas la vie dont-elle avait rêvée. alors un matin elle avait décidé de tout plaquer, un choix s’était imposé à mathy et moi… elle ou lui ? robin était bien trop jeune pour avoir son mot à dire. mathilda a choisi ma mère, moi j’ai choisi mathilda et j’ai détesté ma mère.

nous sommes arrivés à Chicago quelques mois à peine après sa décision. d’abord logés à droite et à gauche dans la famille de ma mère qui était jusqu’à lors totalement inexistante pour nous, avant d’atterrir dans un petit pavillon dans le quartier le plus mal réputé de la ville. j’avais dix ans et j’étais perdu. une langue que je connaissais, mais ne pratiquait pas assez, une culture tellement différente de la mienne, du béton partout pour remplacer les champs et les plaines. je déteste cet endroit, je détestais ses gamins qui se moquaient de mon accent, je détestais une fois de plus ma mère de nous avoir emportés.

(new-york, new-york) 18 ans, j’avais brusquement quitté l’enfance, j’étais aux portes de l’âge adulte. pas de rêve, pas d’ambition, pas d’envie. une ombre qui erre encore et encore dans les rues de la ville. j’ai vite quitté les bancs de l’école, ce n’était clairement pas pour moi. ma mère avait depuis longtemps baissé les bras en ce qui me concerne, préférant consacrer le peu de temps qu’elle avait à mathilda, devenue aussi belle que brillante, et à robin à qui elle promettait un avenir plus glorieux que le mien. depuis notre arrivé dans cette ville j’avais choisi l’opposition, ma mère s’est battue pour me faire entendre raison, puis elle a baissé les bras, peut-on lui en vouloir ? trop têtu, trop bourru, trop libre, pas assez attentif, pas assez comme les autres, trop comme mon père. j’ai enchaîné les petits boulots : balayeur, barman, livreur, déménageur… je vivais la nuit, je sombrais le jour. je m’accrochais à ma sœur, comme un alcoolique à sa bouteille, comme un camé à sa seringue. la lueur qui éclairait mes jours et les rendaient un peu moins sombres. celle qui me porte assez pour que je ne coule pas… enfin pas tout à fait. elle est partie elle aussi, à l’autre bout du pays. elle avait un avenir à tracer, pas assez d’espace à chicago pour y arriver. alors elle a rejoint new-york, la lueur est partie, la nuit s’est abattue, je suis tombé. alcool, drogue, femmes, larcins… un mélange aussi explosif que dangereux. nous vivons dans un petit quartier « familial », tout se sait vite, ma mère était couverte de honte avec mes agissements. femme seule qui ne sait pas tenir son gosse. elle voulait me renvoyer en suède chez mon père, à dire vrai j’attendais que ça... mais mathy l’a convaincu de me faire venir à new-york, promettant de veiller sur moi et me faisant jurer de me reprendre en main….

je suis donc arrivé à new-york à l’aube de mes 19 ans, vivant dans quelques mètres carrés avec ma sœur. je me suis dégoté un poste d’homme à tout faire au new-york city ballet. un truc de bourgeois qui rêve de danse matin et soir. loin de mon monde, mais cela m’a appris la rigueur. il me fallait bien présenter, être à l’heure… être invisible. ce boulot payait bien, ça nous à permis de mieux vivre, ça m’a permis de me remettre à flot, de tenter de trouver un sens à cette vie qui en est dénué.

(jude) un prénom, quatre petites lettres, un visage qui hante encore mes nuits. ce n’est pas juste un vague point de mon histoire, elle a été ma naissance (mon essence) et ma chute à la fois. je suis tombé sous son charme dès que mon regard s’est posé sur elle. tapis dans l’ombre d’une salle au new-york city ballet, je l’observais danser, magnifique ballerine, douce princesse, tendre beauté. ses rires cristallins ont empli ma vie et rendus plus douces mes nuits. jude s’était la douceur ou j’étais rage, le calme qui apaisait mes tempêtes internes, mais la passion nous animait ensemble rendant explosif chaque pas que nous faisions. nos mondes étaient différents, trop différents pour moi. elle qui aurait pu avoir le monde à ses pieds, pourquoi avait-elle choisi un moins que rien ? je n’avais rien à lui apporter, je n’étais personne, je la nivelais par le bas, l’attirait petit à petit dans une vie qu’elle ne méritait pas. et puis comment enfermer une ballerine dans une boule à neige ? je n’en avais pas la solution. je savais qu’elle finirait tôt ou tard par m’échapper… jude a été mon monde. jude je l’ai aimé plus fort que ma propre vie. jude, j’aurais fait l’impossible pour elle, d’un simple battement de cil, pour entendre encore et encore son rire. jude s’était ma drogue. jude était ma vie. puis il y a eu cette dispute, ces cris qui raisonnent encore et encore dans mon esprit, ces mots lançaient avec fracas, cette porte qui a claquée. c’était terminé au fond de moi je le sentais. j’avais ruminé toute la journée, je me savais coupable mais trop fier pour l’avouer. on se retrouverait encore plus forts comme toujours… puis il y a eu cet appel, ma vie qui s’effondre brutalement. je me suis précipité à l’hôpital, paniqué, fou, meurtri. ils étaient tous là, à ton chevet ,jude, j’avais compris que je n’y avais pas ma place. certains dirons que je t’ai abandonné, sans un mot, sans plus de cris, à mes yeux je t’ai juste libéré jude. tu avais tout ce dont tu avais besoin autour de toi, je n’y avais pas ma place, on ne m’aurait de toute façon sûrement pas laissé ma place.

(ne plus toucher terre) mes démons étaient revenus, plus forts que jamais,plus intenses qu’ils n’avaient été… impossible de me lever pour aller bosser, plus rien n’avait de sens. j’avais touché du bout des doigts mon étoile, puis j’ai chuté, plus bas que terre, au plus profond de mes méandres les plus obscures. même ma sœur n’arrivait plus à me faire retrouver la raison. j’ai vite été viré. arriver ivre au new-york city ballet ne semblait pas permis, surprise ! plus rien n’avait de sens, cette putain de vie n’avait aucun sens. assis au milieu des docks à manhattan, une bouteille de scotch à la main, j’avais beau chercher des réponses, elles ne venaient pas. une nuit sans fin…  plutôt que de retourner me défoncer dans les bars miteux de la ville, comme j’avais pu le faire dans le passé à chicago, j’avais élu domicile aux docks. j’arrivais à l’aube, je partais au crépuscule. j’étais juste assis durant des heures à regarder l’océan en faisant taire mes démons à coup de whisky. si j’avais pensé tomber aussi bas pour les beaux yeux d’une femme…  puis un jour il y a eu une voix sorti de nul part « hey p’tit tu veux pas lâcher ta bouteille et v’nir m’aider ? » un vieil homme qui grommelait depuis son embarcation de fortune. je l’ai aidé durant plusieurs mois, à embarquer, à débarquer…. et si la clef avait été là ? j’y ai longuement réfléchi, ma place n’était pas ici en réalité ; il fallait que je parte pour retrouver ma terre, me retrouver tout simplement.

(ne plus jamais revenir) après un enchaînement de mauvaises décisions, j’étais certain d’avoir pris la bonne, pour une fois. j’avais retrouvé mon père, un peu abîmé par les années. j’avais retrouvé le calme des plaines, le bruits du vent dans les peupliers. les grands espaces et la liberté, s’est pour cela que je suis fais. j’aide mon père, sur terre, mais surtout en mer. toute mon enfance je me suis demandé ce qu’elle avait de plus que nous pour le retenir aussi longtemps loin des siens. je le sais maintenant, la mer emporte tout, toutes nos pensées,  nos chagrins, nos remords… la mer bouffe tout et nous laisse plus que le choix de nous battre pour la vaincre. une dose d’adrénaline qui vous rend accro. mathilda me manquait. c’était devenu la seule ombre à un bonheur presque parfait. elle venait nous voir, parfois, pas assez à mon sens, gamin égoïste que je suis resté. l’archipel de göteborg m’a vu renaître une seconde fois. pour une fois le bonheur semblait me tendre les bras sans menacer de me le reprendre d’un instant à l’autre. pas de cris, pas de conflits. un père retrouvé, c’est en le revenant que j’ai compris à quel point il avait pu me manquer. j’avais choisi de partir pour suivre mathilda, aurais-je dû essayer de la convaincre de rester. ma vie aurait été toute autre, mais la sienne aussi, c’est sûrement elle qui aurait été sacrifiée.


(amour ? qui a parlé d’amour?) la première fois que j’ai vu astrid, j’avais eu l’impression d’un fantôme revenu d’un passé douloureux que je n’avais eu de cesse de gommer. jude… les cheveux ébènes, le teint pâle, le regard rieur. ma ballerine était ressortie de sa boule à neige un soir d’hiver. je me suis attachée à elle, espérant retrouver le frisson de mes voyages dans un monde lointain avec jude. mais elle n’avait en réalité pas grand-chose en commun avec ma danseuse. qu’une pâle copie, fade, sans saveur, sans vague, sans passion… sans amour. nous nous sommes mariés, tout de même. elle était docile et patiente, je ne lui apportais ni compassion ni amour. un port d’attache pour des retours de mer moins solitaire. elle voulait des enfants, je ne voulais même pas en entendre parler. cela me donnait l’occasion d’improviser une dispute, essayant de retrouver l’adrénaline de mes jeunes années. rien y fait. elle acquiesce. elle vit au travers de mon égoïsme et semble s’en contenter. astrid semblait avoir fait le deuil d’une vie ampli de bonheur. elle se contentait d’attendre. poupée de chiffon que je pouvais poser sur une étagère dès que je m’en étais lassée. elle ne bougeait pas prenait la poussière, jusqu’à ce que je daigne reposer les yeux sur elle. en y réfléchissant je me veux. elle méritait sûrement mieux que moi. mais s’était son choix, je passais la moitié de l’année en mer, l’autre moitié à l’ignorer, elle a eu mille fois la liberté de partir pour un avenir plus ensoleillé.

(retour en arrière) après dès mois en mer je reposais enfin les pieds sur la terre ferme. je déchargeais le chalutier lorsque j’ai vu mon père s’approcher avec une mine défaite. lui ne prenait moins le large à présent, plus fatigué, moins vigoureux, cela devenait dangereux était présent il semblait m’attendre. mes retours étaient ponctués par nos soirées ensemble à lui raconter mes récits, joyeux, tendres et animés. mais quelque chose clochait, sa mine défaite ne présageait rien de bon. on s’est assis au bord du port, mathy avait appelé il y a quelques jours, ma mère est malade, question de mois avec un peu de chance… cela fait plus de 10 ans que je n’avais pas reparlé à ma mère, ma place ne semblait pas être à son chevet. ma vie était ici. mais ma sœur avait insisté « fais le pour moi, foutu égoïste ! »  tel avait été formulé sa demande. j’ai pris un vol pour les etats-unis, laissant une fois de plus mon père et mes terres derrière moi. mais cette fois ci j’y laissé aussi ce pourquoi j’avais vécu jusqu’ici mon vieux chalutier… et un jugement de divorce pré-signé.

Chicago n’avait pas changé tout ce que j’avais rejeté été encore bien présent. béton, bruits, tourments. ma mère était hospitalisée, livide sur son lit, à attendre une mort qu’elle devait espérer rapide. robin était là également, deux étrangers réunis autour d’un même semblant de vie. triste réalité. nous n’avons rien en commun, nous ne nous connaissons pas. qui est-il réellement ? que fait-il de sa vie ? a t-il des enfants ? robin est un sujet que j’ai toujours éludé lorsque mathilda tentait de l’évoquer. puis il y avait ma sœur, la raison de ma présence. j’étais là, je la soutiendrai jusqu’au bout, puis je reprendrai le large... tout était écrit, c’est ainsi que cela devait se faire.

(et maintenant?) cela fait des mois que je suis de retour à chicago, des mois que j’attends  patiemment de pouvoir repartir.  l’état de santé de ma mère se détériore de jour en jour, emportant avec lui, un peu plus chaque jour, la joie de vivre de ma sœur. elle n’accepte que trop mal la situation et je crois que mon défaitisme  l’agace un peu plus à chaque instant. mais je suis là, je la soutiens, je renoue avec un passé que j’ai totalement rejeté. une processus de paix intérieur, dirait sûrement un psy’ à 100 dollars la séance. la mer me manque, mais le sourire de ma sœur comble l’absence. j’arpente les rues de la ville, à la recherche d’un port d’attache comme si au fond une petite voix me poussait à croire que jamais je n’en partirai. est-ce vraiment une si mauvaise chose ? j’en sais rien, je ne sais plus grand-chose, je dois avouer que je suis un peu perdu entre mes envies et ma raison.